La Fontaine et Mme de Sévigné, sur une scène moins large, ont eu un sentiment si fin et si vrai des choses et de la vie de leur temps, chacun à sa manière, La Fontaine, plus rapproché de la nature, Mme de Sévigné plus mêlée à la société ; et ce sentiment exquis, ils l’ont tellement exprimé au vif dans leurs écrits, qu’ils se trouvent placés sans effort à côté et fort peu au-dessous de leur illustre contemporain. […] Certes, une femme qui, mêlée dès sa jeunesse aux Ménage, aux Godeau, aux Benserade, se garantit, par la seule force de son bon sens, de leurs pointes et de leurs fadeurs ; qui esquive, comme en se jouant, la prétention plus raffinée et plus séduisante des Saint-Évremond et des Bussy ; une femme qui, amie, admiratrice de Mlle de Scudéry et de Mme de Maintenon, se tient à égale distance des sentiments romanesques de l’une et de la réserve un peu renchérie de l’autre ; qui, liée avec Port-Royal et nourrie des ouvrages de ces Messieurs, n’en prise pas moins Montaigne, n’en cite pas moins Rabelais, et ne veut d’autre inscription à ce qu’elle appelle son couvent que Sainte liberté, ou Fais ce que voudras, comme à l’abbaye de Thélème ; une telle femme a beau folâtrer, s’ébattre, glisser sur les pensées, et prendre volontiers les choses par le côté familier et divertissant, elle fait preuve d’une énergie profonde et d’une originalité d’esprit bien rare. […] Cette dernière y excelle : elle laisse trotter sa plume la bride sur le cou, et, chemin faisant, elle sème à profusion couleurs, comparaisons, images, et l’esprit et le sentiment lui échappent de tous côtés.