Mais laissons de côté les cinquante moutons eux-mêmes pour n’en retenir que l’idée. […] Mais dès que je la laisse de côté pour passer à la suivante, je l’objective, et par là même j’en fais une chose, c’est-à-dire une multiplicité. […] Poser l’impénétrabilité de la matière, c’est donc simplement reconnaître la solidarité des notions de nombre et d’espace, c’est énoncer une propriété du nombre, plutôt que de la matière. — Pourtant on compte des sentiments, des sensations, des idées, toutes choses qui se pénètrent les unes les autres et qui, chacune de son côté, occupent l’âme tout entière ? […] Les auteurs de ces théories semblent, en effet, avoir laissé de côté le problème de la nature de l’espace pour rechercher seulement par quel processus nos sensations viennent y prendre place et se juxtaposer, pour ainsi dire, les unes aux autres : mais, par là même, ils considèrent les sensations comme inextensives, et établissent, à la manière de Kant, une distinction radicale entre la matière de la représentation et sa forme. […] Quand nous comptons explicitement des unités en les alignant dans l’espace, n’est-il pas vrai qu’a côté de cette addition dont les termes identiques se dessinent sur un fond homogène, il se poursuit, dans les profondeurs de l’âme, une organisation de ces unités les unes avec les autres, processus tout dynamique, assez analogue à la représentation purement qualitative qu’une enclume sensible aurait du nombre croissant des coups de marteau ?