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451. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

À cette même tranchée devant Mardyck, au moment où il fallait en déloger les ennemis, Bussy, qui est entré par un côté, se rencontre tête à tête avec le duc d’Enghien, qui montait de l’autre, faisant main basse sur tout ce qui se présentait à lui : Je ne songe point, dit-il, à l’état où je trouvai ce prince, qu’il ne me semble voir un de ces tableaux où le peintre a fait un effort d’imagination pour bien représenter un Mars dans la chaleur du combat. […] Après qu’on m’eut éveillé, je ne pus me rendormir… On saisit bien en quoi le Turenne de Bussy ne ressemble point au Condé de l’Oraison funèbre, duquel Bossuet a dit avant Rocroi : « On sait que le lendemain, à l’heure marquée, il fallut réveiller d’un profond sommeil cet autre Alexandre. » Je laisse à ceux qui ont eu l’honneur de se trouver à pareille fête à côté des héros, le soin de décider lequel des deux récits leur paraît le plus voisin de la vérité. […] car, bien que nous ne soyons pas demeurés muets chacun de notre côté, il me semble que nous nous faisons valoir l’un l’autre, et que nous nous entredisons des choses que nous ne disons pas ailleurs. Et, en effet, Bussy avait été excellent, dans le principe, pour mettre sa jolie cousine en humeur et en veine de style épistolaire : il était l’homme qu’il lui fallait pour lui renvoyer le volant, comme on dit ; mais il ne s’apercevait pas, en avançant, qu’elle pouvait très bien se passer de lui, dire à d’autres les mêmes jolies choses, en répandre de tous côtés et en retrouver sans cesse, et qu’il n’était plus lui-même assez vif et assez alerte pour ne pas perdre au vis-à-vis devant cette grâce supérieure et naturelle. […] Ce serait peu intéressant, si, tout à côté, il n’y avait des contradictions, des démentis, et si, dans l’exemple de Bussy, on ne pouvait étudier le cœur humain et ses misères parfaitement à nu.

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