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251. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

mais il ne doit compte à personne du but qu’il s’est proposé. — Au moins, répondent aux artistes ceux qui ne sentent pas l’art, soyez donc fidèles à la règle du beau. […] Les absurdes théories qui ont pris pour base l’imitation de la nature, même en indiquant pour but l’aspect du beau, ne méritent pas qu’on s’y arrête. […] Quelques progrès qu’ait faits l’Humanité, le mystère l’enveloppe toujours ; quelque grande que soit la carrière que nous pouvons lui mesurer, il y a toujours l’infini en avant et en arrière ; quelque travail que nous puissions assigner à son activité dans une période donnée, il reste toujours le début et le but final, le commencement et la fin en Dieu, le pourquoi en Dieu. […] Ainsi ils arrivent tous deux au même vide et au même néant, par des routes diverses : : l’un par la contemplation de la vie universelle, l’autre par la contemplation de la vie dans ses formes particulières : l’un ne voyant que la vie générale, l’infini, l’absolu, l’éternel, Dieu enfin, sans l’Humanité, et en Dieu même une œuvre de génération et de destruction perpétuelle, sans but et sans résultat ; l’autre ne voyant que des êtres jetés dans l’espace et le temps, sans lien, l’Humanité sans Dieu, et dans l’Humanité même des forces isolées, des phénomènes transitoires, des générations sans succession, des hommes enfin sans vie humanitaire, une Humanité sans but et sans résultat. […] Quittant la terre, et n’ayant qu’un Christianisme incertain, sans dogmes, sans tradition, sans but providentiel pour l’Humanité, elle ne jette pas le pont entre l’homme et l’homme, l’Humanité et Dieu ; elle ne console pas, et n’excite pas à l’activité ; elle ne fait pas couler la vie du petit monde en harmonie avec celle du grand monde : au contraire, elle la refoule dans son cours, et ne l’agite si profondément que pour accumuler ses vagues sur notre cœur, qui s’v noie. » Et nous dirions à l’autre : « Pourquoi cette apparence de calme religieux avec une pensée sceptique et incrédule, ce culte idolâtre du passé avec un cœur bouillant d’avenir ?

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