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319. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

Frappé deux fois de la foudre, comme vous savez, je n’ai plus de droit à ce qu’on appelle vulgairement bonheur ; je vous avoue même qu’avant de m’être raffermi par de salutaires réflexions il m’est arrivé trop souvent de me demander à moi-même : Que me reste-t-il ? […] Dans l’état où il est réduit, il n’a pas même le triste bonheur de s’ignorer ; il faut qu’il se contemple sans cesse, et il ne peut se contempler sans rougir ; sa grandeur même l’humilie, puisque ses lumières, qui l’élèvent jusqu’à l’ange, ne servent qu’à lui montrer dans lui des penchants abominables qui le dégradent jusqu’à la brute. […] L’insensé obéit, et il appelle sa lâcheté bonheur ; mais il ne peut se défaire de cette autre volonté incorruptible dans son essence, quoiqu’elle ait perdu son empire, et le remords, en lui perçant le cœur, ne cesse de lui crier : En faisant ce que tu ne veux pas, tu consens à la loi. […] Ce que tu me dis de Chambéry m’a serré le cœur ; je suis cependant bien aise que tu aies vu par toi-même l’effet inévitable d’un système dont nous avons eu le bonheur de te séparer entièrement. […] Ces jours de halte furent sans aucun doute les plus doux de toute sa vie ; c’est alors que j’eus le bonheur de le connaître.

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