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285. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Les sceaux étant rendus au chancelier d'Aguesseau, M. d’Argenson crut que les Affaires étrangères allaient lui venir presque d’elles-mêmes : « Je ne postulai point, dit-il, mais on postula pour moi… Je vaux peu, mais je brûle d’amour pour le bonheur de mes citoyens, et si cela était bien connu, certainement on me voudrait en place. » N’est-ce pas là un peu de cette candeur dont on l’a souvent loué ? […] Les imprudents se battent, et les gens sages viennent à profiter de l’objet du combat quand on est bien sûr qu’ils ne s’en sont pas mêlés ; et cette aventure de tertius gaudet arrive dans les cours les plus intrigantes tout comme pendant les gouvernements forts et tranquilles… Dans ces intrigues, ajoute-t-il, le moindre risque, selon moi, surpasse les plus hautes espérances ; je crains extrêmement la disgrâce et la Bastille ; j’aime ma liberté et ma tranquillité, et je ne les veux jamais sacrifier qu’au bonheur de mes citoyens ; mais quelle sottise de les sacrifier à ses vues personnelles ! […] Une telle passion exclut la vertu et cet amour du bien public, qu’on doit adorer après son simple bonheur et bien avant sa propre grandeur… Il faut remarquer, ajoute-t-il (et l’on n’a que le choix entre vingt passages), que mon frère aime mieux une place qui lui vient par une brigue, par un parti et par une intrigue, que par la voie simple et noble de sa capacité reconnue et placée. […] Je trouvai à ce propos que ledit M. de Chauvelin n’était aucunement homme d’Etat comme je l’avais cru, et que ce n’était qu’un courtisan peu intelligent au bonheur de la nation ni aux sentiments que nous devons à l’humanité.

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