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2087. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

À cet âge, on peut parler du soin de sa santé et de ses goûts de retraite sans rencontrer d’incrédules ; aussi le conseil génevois ne fit-il aucune opposition, et voici ce qu’on lit dans ses registres en date du 1er février 1755 : « On a lu une lettre de M. de Voltaire adressée à noble Tronchin, par laquelle il prie Messieurs de lui permettre d’habiter le territoire de la République, alléguant l’état de sa santé et la nécessité de se rapprocher de son médecin, spectable Tronchin : l’avis a été de permettre audit sieur de Voltaire d’habiter le territoire de la République sous le bon plaisir de sa seigneurie. » Tel fut le point de départ : pour beaucoup de Génevois, et malgré sa passion pour le théâtre, qui faillit plusieurs fois le brouiller avec l’austérité calviniste, Voltaire, sexagénaire illustre, étincelant de génie et de gloire, entouré de cette popularité sans rivale qui donna son nom à son siècle ou son siècle à son nom, n’ayant pas encore écrit ou avoué les œuvres infâmes de sa vieillesse, riche, châtelain, homme du monde, presque grand seigneur, transformant le pays qu’il habitait en un lieu de pèlerinage, fut d’abord un personnage d’apparat, un demi-dieu dont le majestueux éclat était à peine terni par quelques taches légères. […] De ces vingt ans de lecture il a fait un volume qu’on lirait en quelques heures, si cette manière sobre et fine, substantielle et profonde, cet art de mettre beaucoup de pensées sous peu de mots, et de faire réfléchir en indiquant, n’exigeait un redoublement d’attention de la part de gens accoutumés aux prodigalités expansives et aux charlatanismes chatoyants de la prose moderne. […] Ce n’est pas tout : s’il est vrai que le privilège des grands hommes soit de recevoir beaucoup de leur siècle et de lui donner davantage, de porter sa marque et d’y creuser leur empreinte, ces deux traits essentiels n’ont jamais été plus visibles que chez Constantin ; et son historien, en retraçant les principaux événements de sa vie et de son règne, se trouve en même temps écrire l’histoire de cette première partie du quatrième siècle ; guerres étrangères, troubles intérieurs, tragédies domestiques, changement de capitale, création d’un nouvel empire, d’un art nouveau, d’une ville nouvelle ; schismes, hérésies, conciles, premières revanches du paganisme vaincu contre l’Église victorieuse, tressaillements et secousses de la vieille société, subissant la plus immense révolution qui ait régénéré le monde. […] Nous attendions beaucoup de M. 

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