Si le passé n’enseignait pas l’avenir, à quoi bon la mémoire ? […] Tu auras été ivre de sécurité et de joie en voyant cette république, qui se craignait elle-même, abolir courageusement la peine de mort le lendemain de son avènement imprévu, de peur d’abuser jamais des armes que tous les régimes s’étaient transmises jusque-là les uns aux autres pour immoler leurs ennemis ; tu auras frémi d’espérance en voyant cette démocratie philosophique déclarer la paix au monde étonné ; tu auras eu le délire de l’admiration en voyant quelques citoyens obéis par le peuple et pressés par d’innombrables prétoriens de la multitude de perpétuer leur dictature ; tu les auras vus, au contraire, appeler la nation entière à se lever debout dans ses comices afin de remettre plus vite cette dictature à la nation représentant cette légitimité des interrègnes ; et quand la nation, relevée par la main de ces hommes de sauvetage, aura repris son aplomb et son sang-froid, tu n’auras eu pour ces citoyens, victimes émissaires de leur dévouement, que des calomnies, des mépris, des outrages, des abandons, pour décourager les abnégations futures, et pour montrer à l’avenir qu’on ne sauve sa patrie qu’à la condition de se perdre soi-même : mauvais exemple qui ne profitera pas à la nation. […] Tout a tourné autrement que je ne l’avais orgueilleusement conçu dans mes puériles ambitions d’avenir. […] Ces cajoleries et ces sourires d’intelligence aux ennemis de la Restauration, quand on était restauré soi-même et comblé de richesses, de faveurs, d’honneurs, par cette Restauration si clémente au passé, si généreusement imprudente pour l’avenir, tout cela, comme dit Tacite, mal odorait si près du trône . […] Je compris que la France perdait étourdiment la seule et peut-être la dernière occasion de réconcilier le passé monarchique et l’avenir libéral dans une maison royale dont un membre pouvait errer, mais dont la dynastie, innocente d’une erreur sénile, et respectée dans un enfant légitime de la France, pouvait imprimer à la fois à nos destinées nationales et politiques la solidité des traditions et la vigueur des nouveautés.