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1113. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Dès la première nuit passée sur le sable après le débarquement avec quelques onces de biscuit trempé dans de l’eau saumâtre, on prend une triste idée de l’avenir qui attend l’armée en Égypte : « Cependant aucun murmure ne se fit entendre : nous voulions égaler les Romains. » — Un jour, dans un campement près de Gaza où l’on n’avait trouvé que peu de ressources, comme des soldats s’étaient approchés de sa tente pour se plaindre, le général en chef leur dit « qu’ils n’égaleraient jamais les Romains, qui, dans ces mêmes lieux, avaient mangé leurs sacs de peau. » — « Général, ils n’en portaient pas, vos Romains », lui répondit un orateur. — « Cette répartie fit rire, ajoute Pelleport, et les murmures s’apaisèrent. » C’est égal, ces Romains, toujours nommés, restaient dans l’esprit de ces braves et les piquaient d’honneur. Pelleport en est lui-même une preuve lorsqu’au commencement de la retraite de Moscou et de ces fatigues sans nom, supportées par une partie de l’armée avec tant d’héroïsme, il dit tout d’un coup et en y revenant sans qu’on s’y attende : « Je crois, tout amour-propre de côté, que nous avons, en cette circonstance, laissé bien loin de nous les Romains, dont l’Empereur nous parlait tant en Italie et en Égypte. » Pelleport, très occupé du détail et de ce qu’il voit, nous apprend un fait assez singulier, c’est que dans les combats de Chobrakhit, qui précédèrent la bataille des Pyramides, il y eut du tâtonnement et quelque inhabileté pratique à exécuter les commandements du chef : L’armée d’Italie, bien que brave et intelligente, manquait de flexibilité pour les manœuvres ; les officiers inférieurs et supérieurs, les généraux eux-mêmes qui venaient de faire la guerre, avec une grande distinction, avaient négligé l’étude de la petite tactique (manœuvres) ; aussi se trouvèrent-ils embarrassés pour former les carrés tels qu’ils avaient été indiqués par Bonaparte : il fallut prendre successivement les pelotons et bataillons par la main pour les porter sur le terrain qu’ils devaient occuper dans la disposition générale.

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