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777. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Au théâtre, on s’adresse à la fois à un seul et à tous, à un homme et à une foule ; il faut être poète et tribun, artiste et logicien ; mettre en action une idée, mais que l’action se puisse comprendre au vu de son mouvement propre. […] Révérencieux par l’héritage d’un enseignement héroïque, nous voulons que les masques un instant posés sur nos yeux aient abrité, ruches privilégiées, un grand mouvement de pensées, une noble rumeur d’abeilles ; mais nous oublions que ni les idées des hommes, ni leurs actes ne sont écrits dans leur apparence charnelle, et que d’ailleurs, vue et reproduite par un artiste, cette apparence contient désormais le génie de l’artiste et non le génie du personnage. […] Il est cependant une certaine dextérité manuelle qu’il faut posséder ; il faut être à la fois l’artisan et l’artiste, manier le ciseau et l’ébauchoir, et que la main qui a dessiné les rinceaux puisse les marteler sur l’enclume. […] La sincérité, en art, est bien difficile à démêler de l’inconsciente fraude où se laissent aller les artistes les plus purs et les plus désintéressés ; l’extrême talent dégénère très souvent en virtuosité : il faut donc, en principe, croire l’artiste sur sa parole, sur son œuvre. […]  » Grâce à ce don, l’art est complet, parfait, absolu, existe enfin. » Sans doute, tout cela est plutôt, au fond, une philosophie qu’une théorie de l’art, et je me méfierais de l’artiste, même supérieurement doué, qui s’appliquerait à la réaliser par des œuvres ; mais c’est une philosophie très haute et possiblement féconde : quelques artistes en seront peut-être touchés même à travers leur cuirasse d’inconscience.

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