Si toutefois après avoir idéalisé son être véritable, après en avoir fait un signe, elle eût su ne le mettre aux prises qu’avec d’autres signes également imaginés par elle, si elle se fût gardée de le commettre avec la réalité commune, Mme Bovary eût pu être quelque grande mystique, à la façon d’une sainte Thérèse ou, avec un don d’exécution, une artiste. […] Lorsqu’il a composé avec La Tentation de saint Antoine, avec Bouvard et Pécuchet, des œuvres d’une portée plus générale, une même nécessité de sa vision d’artiste a été cause qu’il a animé ce champ nouveau et plus vaste du jeu de ce même pouvoir. […] Elle est en effet la conséquence du relief exagéré qu’implique nécessairement une vision d’artiste, et cette exagération même sera de nature à faire mieux comprendre et mieux voir par la suite le principe d’où surgit la réalité phénoménale, avec les formes que nous lui connaissons. […] Et il semble, en effet, que, transportant dans la philosophie sa vision d’artiste, Flaubert ait constaté dans l’homme un Bovarysme irrémissible qui fait de l’erreur et du mensonge la loi de sa nature, un mal d’imagination et de pensée qui l’oblige à méconnaître toute réalité pour céder à la fascination de l’irréel, qui le contraint à concevoir, hors de la portée de son intelligence et le ses sens, un au-delà dont la perspective s’éloigne après chaque effort fait pour l’atteindre. […] Dominé par son tempérament d’artiste, contraint, pour manier des idées abstraites, de les incorporer en des personnages vivants, il a dû composer à ceux-ci une individualité concrète afin qu’ils pussent, par le moyen de leurs gestes immédiats, évoquer des interprétations plus hautes.