Et cependant, moi, ce superbe Alfieri, me faisant précéder de l’offre de mon beau volume, que le Saint-Père reçut avec bienveillance, ouvrit et reposa sur sa petite table, avec beaucoup d’éloges et sans vouloir me laisser lui baiser le pied, mais me relevant au contraire lui-même, car j’étais à genoux ; dans cette humble posture il me caressait la joue avec une complaisance toute paternelle ; moi donc, ce même Alfieri, l’auteur de ce fier sonnet sur Rome, répliquant alors avec la grâce doucereuse d’un courtisan aux louanges que le pontife me donnait sur la composition et la représentation de l’Antigone, dont il avait, m’assurait-il, ouï dire merveille, et saisissant le moment où il me demandait si je ferais encore des tragédies, louant fort du reste un art si ingénieux et si noble, je lui répondis que j’en avais achevé beaucoup d’autres, et dans le nombre un Saül, dont le sujet, tiré de l’Écriture, m’enhardissait à en offrir la dédicace à Sa Sainteté, si elle daignait me le permettre. […] Il me sembla qu’il pouvait en résulter une tragédie très touchante et très originale, pour peu que l’auteur eût l’art d’arranger sa fable de manière à laisser le spectateur découvrir lui-même par degré les horribles tempêtes qui s’élèvent dans le cœur embrasé et tout ensemble innocent de la pauvre Myrrha, bien plus infortunée que coupable, sans qu’elle en dît la moitié, n’osant s’avouer à elle-même, loin de la confier à personne, une passion si criminelle.