Elle s’empare de vous comme une espèce de dictature, qui fait taire toutes les autorités de l’esprit, de la raison et du sentiment : sous cet asservissement, pendant qu’il dure, les hommes sont moins malheureux que par le libre arbitre qui reste encore aux autres passions ; dans celle-là, la route qu’il faut suivre est commandée comme le but qu’on doit atteindre : les hommes dominés par cette passion sont inébranlables jusques dans le choix de leurs moyens ; ils ne voudraient pas les modifier, même pour arriver plus sûrement à leur objet : les chefs, comme dans toutes les religions, sont plus adroits parce qu’ils sont moins enthousiastes ; mais les disciples se font un article de foi de la route autant que du but. […] L’esprit de parti arrive souvent à son but par sa constance et son intrépidité, mais jamais par ses lumières : l’esprit de parti qui calcule n’est déjà plus, c’est alors une opinion, un plan, un intérêt ; ce n’est plus la folie, l’aveuglement qui ne pourrait cesser sur un point sans entrevoir tout le reste. […] Si l’on s’était convaincu d’un principe simple, c’est que les hommes n’ont pas le droit de faire le mal pour arriver au bien, nous n’aurions pas vus tant de victimes humaines immolées sur l’autel même des vertus. […] Il faut de l’esprit de parti pour lutter efficacement contre un autre esprit de parti contraire, et tout ce que la raison trouve absurde est précisément ce qui doit réussir contre un ennemi qui prendra aussi des mesures absurdes : ce qui est au dernier terme de l’exagération, transporte sur le terrain où il faut combattre, et donne des armes égales à celles de ses adversaires ; mais ce n’est point par calcul que l’esprit de parti prend ainsi des moyens extrêmes, et leur succès n’est point une preuve des lumières de ceux qui les emploient ; il faut que les chefs, comme les soldats, marchent en aveugles pour arriver ; et celui qui raisonnerait l’extravagance, n’aurait jamais à cet égard l’avantage d’un véritable fou.