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488. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Quand il est soutenu par des documents, comme cela est arrivé dans l’histoire de don Pèdre, il s’élève à des exposés d’ensemble qui ont un grand mérite, et ce sont certainement de beaux chapitres que ceux où il a retracé l’état général de l’Espagne vers le milieu du xive  siècle. […] j’y trouve bien un peu mon profit, je l’avoue : quand je marche au soleil, quoique ce soit pour tout autre chose, il arrive pourtant tout naturellement que mon visage prend le hâle : et c’est ainsi que lorsqu’à Misène (car à Rome je n’en ai guère le temps) je me suis mis à lire avec soin ces livres des historiens, je sens, comme à leur contact, que mon langage prend de la couleur (sentio illorum tactu orationem meam quasi colorari). […] Arrivé aujourd’hui à la pleine maturité de la vie, maître en bien des points, sachant à fond et de près les langues, les monuments, l’esprit des races, la société à tous ses degrés et l’homme, il n’a plus, ce me semble, qu’un progrès à faire pour être tout entier lui-même et pour faire jouir le public des derniers fruits consommés de son talent. […] Mon seul vœu, c’est qu’en avançant, et sûr désormais de lui et de tous, comme il l’est et le doit être, il se méfie moins, qu’il s’abandonne parfois à l’essor, et qu’il ose tout ce qu’il sent ; voyageur, qu’il laisse étinceler cette larme amoureuse du beau, qui lui échappe en présence du Parthénon ou des marbres ioniens de l’Asie Mineure ; romancier, qu’il continue d’appliquer ses burins sévères et qu’il craigne moins, jusque dans la passion ou dans l’ironie, de laisser percer quelque attendrissement ; historien, qu’il laisse arriver quelque chose aussi de l’éloquence jusque dans la fermeté de ses récits ; que, dans la grande et maîtresse histoire qu’il prépare, il réunisse tous ces dons, et comme toutes ces parties séparées de lui-même, qu’il a perfectionnées avec tant de soin une à une ; qu’il les fonde et les rassemble désormais, et qu’il accomplisse avec toutes les forces qu’il possède, et avec ce feu qui unit le cœur à la volonté, cette belle histoire de Jules César, du plus ami de l’esprit entre les conquérants, du plus aimable entre les grands mortels. […] Mérimée est arrivé plus d’une fois à la perfection.

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