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12. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

L’écriture, l’orthographe, la danse, à dessiner, à peindre, à travailler de l’aiguille, elle apprit tout, nous dit Conrart, et elle devinait d’elle-même ce qu’on ne lui enseignait pas : Comme elle avait dès lors une imagination prodigieuse, une mémoire excellente, un jugement exquis, une humeur vive et naturellement portée à savoir tout ce qu’elle voyait faire de curieux et tout ce qu’elle entendait dire de louable, elle apprit d’elle-même les choses qui dépendent de l’agriculture, du jardinage, du ménage, de la campagne, de la cuisine ; les causes et les effets des maladies, la composition d’une infinité de remèdes, de parfums, d’eaux de senteur, et de distillations utiles ou galantes pour la nécessité ou pour le plaisir. […] Elle apprit en perfection l’italien, l’espagnol, et son principal plaisir était dans la lecture et dans les conversations choisies, dont elle n’était pas dépourvue dans son voisinage. […] En effet, elle l’a d’une si vaste étendue, qu’on peut dire que ce qu’elle ne comprend pas ne peut être compris de personne, et elle a une telle disposition à apprendre facilement tout ce qu’elle veut savoir, que, sans que l’on ait presque jamais ouï dire que Sapho ait rien appris, elle sait pourtant toutes choses. […] On ne veut point qu’elles soient coquettes ni galantes, et on leur permet pourtant d’apprendre soigneusement tout ce qui est propre à la galanterie, sans leur permettre de savoir rien qui puisse fortifier leur vertu ni occuper leur esprit. […] Et ce qu’il y a de rare est qu’une femme qui ne peut danser avec bienséance que cinq ou six ans de sa vie, en emploie dix ou douze à apprendre, continuellement ce qu’elle ne doit faire que cinq ou six ; et, à cette même personne qui est obligée d’avoir du jugement jusques à la mort, et de parler jusques à son dernier soupir, on ne lui apprend rien du tout qui puisse ni la faire parler plus agréablement, ni la faire agir avec plus de conduite.

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