La vie ne lui apparaissait pas comme cette mer aux vagues tumultueuses que décrivent les poètes ; il se la représentait unie comme une glace, immobile, transparente jusque dans ses plus obscures profondeurs ; lui-même, assis dans un petit esquif chancelant, et en bas, au fond de l’abîme sombre et limoneux, il entrevoyait vaguement, semblables à d’énormes poissons, des formes monstrueuses : toutes les misères de la vie, maladies, chagrins, démence, cécité, pauvreté. […] L’obscur passé leur est l’origine des maux qui, ayant commencé peuvent cesser d’être, et quant à la mort même, elle leur apparaît comme la condition essentielle de la durée prospère de l’espèce, qui ne saurait subsister utilement que par la destruction de ses représentants momentanés, comme le corps ne vit que par l’usure de ses cellules. […] Ce que sa notion des hommes et des choses avait de menu, de nuancé, d’épais, de peu concluant, de peu poussé, le laissait comme en une sorte d’admiration rêveuse pour un spectacle qui lui apparaissait étrangement varié, singulier, multiple surtout et compliqué ; une douce sympathie lui venait pour les êtres qu’il avait connus intimement et confusément comme penché sur eux de trop près, l’intelligence de leurs erreurs, la tristesse de leurs fautes, l’étonnement navré de les apercevoir eux si intensément vivants et complexes, bornés, faibles, isolés, perdus et passagers en ce vaste monde dont le romancier ne parvenait à comprendre ni l’arrangement ni le but, ni l’infinie petitesse.