Flaubert, qui était artiste dans la moelle des os et qui s’en piquait, a exprimé cet état d’esprit avec une précision merveilleuse : selon lui, vous êtes né pour l’art si les accidents du monde, dès qu’ils sont perçus, vous apparaissent transposés comme pour l’emploi d’une illusion à décrire, tellement que toutes les choses, y compris votre existence, ne vous semblent pas avoir d’autre utilité. […] Ce qui fait que quelques-uns d’entre nous donnent parfois si facilement leur vie pour un sentiment élevé, c’est que ce sentiment leur apparaît en eux-mêmes plus réel tous les autres faits secondaires que de leur existence individuelle ; c’est avec raison que devant lui tout disparaît, s’anéantit. […] Il faut donc que l’œuvre d’art offre l’apparence de la spontanéité, que le génie semble aussi tout spontané, enfin que les êtres qu’il crée et anime de sa vie aient eux-mêmes cette spontanéité, cette sincérité d’expression, dans le mal comme dans le bien, qui fait que l’antipathique même redevient en partie sympathique en devenant une vérité vivante, qui semble nous dire : Je suis ce que je suis, et, telle je suis, telle j’apparais.