Le fait est que, durant les trois années d’un état précaire pour la France et presque déshonorant pour la civilisation d’un grand peuple, les mêmes hommes, après le premier étourdissement passé, ont assez pris leur parti, qu’ils ont assez bien vécu et n’ont pas trop désespéré, et que depuis qu’il y a un établissement régulier, il leur semble qu’on ne puisse plus vivre : c’est que cet établissement s’est fait sans eux, c’est que ce régime n’est plus le leur ; on supporte encore la chute, non pas le remplacement. […] L’autre jour, j’entendais causer un homme de grand esprit, un ancien ministre de l’Instruction publique sous Louis-Philippe, et qui a, durant des années, administré, sous un titre ou sous un autre, cette branche importante du pouvoir ; il critiquait les innovations récentes apportées dans l’enseignement ; et, sur quelques observations générales qui lui étaient faites, et qui méritaient au moins d’être écoutées : « Je crois à la vérité absolue, s’écria-t-il en rompant la conversation, je crois au bien. » Il appelait apparemment le bien ce qu’il avait fait ; le mal, c’était ce que faisaient les autres. […] Ces hommes de la Chambre de 1815 arrivèrent ou revinrent impraticables parce qu’ils étaient violents, parce qu’ils avaient accumulé en silence mille aigreurs et mille rancunes, parce qu’ils étaient restés, dix années durant, à l’état de pistolets chargés : quand on vint à vouloir s’en servir de nouveau, ils éclatèrent dans la main qui les employait. […] Il y a des années que je ne suis guère accoutumé à le flatter ; pourtant, depuis qu’il a perdu le pouvoir sans en avoir fait l’usage qu’il pouvait, et bien qu’il en gémisse tout bas peut-être, il n’en laisse rien percer dans ses écrits ; il produit avec l’abondance qu’on sait, mais sans amertume, sans y mêler de ressentiment personnel, et sans s’écrier à toute heure que les temps sont changés, que le monde va de mal en pis.