Cependant, on entrevoit dans la version de 1874 une sorte de dessein d’ensemble : d’abord les tentations de la chair, jusques et y compris l’épisode de la reine de Saba ; puis les tentations de l’esprit et enfin la tentation suprême, en présence du défilé des bêtes et des monstres ; le désir de renoncer sinon à la pensée, du moins à la dignité humaine, et de s’abîmer dans la vie animale ou plus bas encore : « Être la matière ! […] Cet animal jouait un rôle curieux, non point par antithèse, à la façon de Sancho avec don Quichotte, mais au contraire en qualité de reflet ou d’écho parodique. […] Le Prince de la Mort, que les Brahmes appellent Shiva, celui qui a suscité à chaque bête l’animal spécial qui la mange, à chaque créature ses microbes rongeurs, semble avoir prévu, depuis la nuit des origines, que les hommes tenteraient de se prolonger un peu en construisant des choses durables ; alors, pour anéantir leur œuvre, il a imaginé, entre mille autres agents destructeurs les pariétaires, et surtout ce figuier des ruines auquel rien ne résiste… Et plus loin : Jadis à la place de cette mer de verdure, silencieuse à mes pieds, la ville d’Angkor-Thom (Angkor la Grande) s’étendait au loin dans la plaine ; il suffirait d’élaguer les branches touffues pour voir encore là-dessous reparaître des murailles, des terrasses, des temples, et se développer les longues avenues dallées que bordaient tant de divinités, de serpents à sept têtes, de clochetons, de balustres, effondrés aujourd’hui dans la brousse. […] Par cette faculté qui renouvelait en quelque sorte le paganisme antique et par cet amour de la nature, des animaux, de toute la création en qui il louait et adorait le Créateur, il fut l’initiateur du grand mouvement artistique que Giotto allait définitivement féconder. […] La vie n’est qu’une condition, un moyen, un substratum pour les créations de l’esprit, qui d’abord la rendent supportable, puis l’embellissent et la font aimer, enfin adoucissent par des considérations religieuses ou philosophiques l’amertume de la perdre, L’instinct seul, le vouloir vivre, puisqu’il ne s’accompagne pas d’inconscience comme chez les animaux, n’empêcherait les meilleurs d’entre nous ni de la subir comme un pénible fardeau, ni, par une contradiction funeste, d’en envisager le terme avec horreur.