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865. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Il y a des actes qui sont ignobles, comme d’aller à la garde-robe, et généralement tous les actes qui sont la trace en nous de notre origine animale : les mots qui servent à les nommer participent de leur ignominie ou de leur bassesse, si l’on ne doit dire qu’ils l’exagèrent, du fait de l’intention dégradante qu’on y joint quand on les emploie. […] Ce n’est point, comme se le persuadent les ignorants, une pensée que personne n’a jamais eue, ni dû avoir : c’est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde, et que quelqu’un s’avise le premier d’exprimer. » Rappelons-nous là-dessus une Satire ou une Épître de Boileau lui-même, une comédie de Molière, L’École des femmes ou Le Misanthrope, une tragédie de Racine, Andromaque ou Bajazet, une fable de La Fontaine, Les Animaux malades de la Peste ou Le Meunier, son Fils et l’Âne, une maxime de La Rochefoucauld, un sermon de Bossuet ou de Bourdaloue. […] Bouilhet] ; — et qu’en même temps que le décousu de l’existence de La Fontaine elle explique le caractère unique de ses Fables en leur temps. —  Corneille a eu des intentions ; — Molière a soutenu des thèses et des combats ; — La Fontaine ne s’est proposé que de peindre ce qui lui plaisait ; — ou même ne s’est rien proposé du tout, que de se faire plaisir. — Explication par là du caractère de sa prétendue satire ; — et exagération de Taine à ce sujet. — Que les hommes soient pervers et les femmes bavardes ; — que les riches soient insolents et que les pauvres soient habituellement plats ; — que les grands soient tyranniques et que les petits soient complaisants ; — ou que le lion soit enfin le roi des animaux et que l’âne en soit l’éternelle dupe, rien de tout cela n’indigne ou n’irrite La Fontaine ; — ce qui est pourtant la première condition de la satire. — Il n’y a point de satire sans intention morale. — Mais La Fontaine « constate » et ne juge jamais. — Sa malice ne va pas au-delà de l’amusement qu’un pauvre diable de philosophe trouve à prendre un des grands de ce monde en flagrant délit de sottise ; — il estime d’ailleurs que tout ce qui est humain, étant « naturel », a les mêmes droits à l’attention du peintre ; — et c’est ainsi que son épicurisme d’artiste le conduit insensiblement au naturalisme. […] Le Naturaliste. — Qu’il ne faut pas toutefois abuser de ce mot pour faire de La Fontaine un curieux « inspectateur » des mœurs des animaux [Cf. Paul de Rémusat, La Fontaine naturaliste] ; — et qu’on peut même se demander s’il les a observés de très près. — De la vérité scientifique et de la vérité poétique. — Qu’il suffit en tout cas que les animaux de La Fontaine soient quelque chose de plus pour lui que les masques des hommes ; — et ils le sont effectivement. — Ils ont pour lui leur physionomie très individuelle et nettement caractérisée ; — ils ont leur pelage ; — et ils ont surtout leurs mœurs. — Mais en le qualifiant de naturaliste, on veut dire : Que sa curiosité de la nature et la liberté de l’imitation qu’il en fait n’ont jamais été retenues ou modérées chez lui ; — ni par la nécessité de « faire sa cour » ; — ni par des obligations comme celles que les exigences du théâtre imposaient à Molière et à Racine ; — ni enfin par aucune considération de morale. — Il a pris ainsi l’habitude de s’intéresser à plus de choses que beaucoup de ses contemporains ; — et, de là, cette conséquence qu’il y a dans son œuvre une plus grande part de nature enclose et représentée que dans l’œuvre de pas un de ses contemporains. — Eux n’ont représenté que l’homme, et encore pas l’homme tout entier ; — La Fontaine, au contraire ; — et jusqu’à nous le montrer dans des attitudes qu’il eût mieux fait de ne pas représenter. — Il a aussi peint les animaux ; — et c’est en quoi la vie de sa Fable diffère de la sécheresse de la fable ésopique [Cf. 

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