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721. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Les grâces dans le même temps avaient, au rapport des anciens, embelli l’esprit, le caractère et l’âme de Socrate ; il allait quelquefois les étudier chez Aspasie : il en inspirait le goût aux artistes, il les enseignait à ses disciples, et probablement Xénophon et Platon les reçurent de lui ; mais Platon, né avec une imagination vaste, leur donna un caractère plus élevé, et associa pour ainsi dire à leur simplicité un air de grandeur ; Xénophon leur laissa cette douceur et cette élégante pureté de la nature qui enchante sans le savoir, qui fait que la grâce glisse légèrement sur les objets et les éclaire comme d’un demi-jour ; qui fait que peut-être on ne la sent pas, on ne la voit pas d’abord, mais qu’elle gagne peu à peu, s’empare de l’âme par degrés et y laisse à la fin le plus doux des sentiments : à peu près comme ces amitiés qui n’ont d’abord rien de tumultueux, ni de vif, mais qui, sans agitation et sans secousses, pénètrent l’âme, offrent plus l’image du bonheur que d’une passion, et dont le charme insensible augmente à mesure qu’on s’y habitue. […] Il n’y a dans tout cet éloge nul mouvement d’orateur ; c’est la marche simple d’un homme vertueux qui parle de la vertu avec ce sentiment doux qu’elle inspire ; en général, c’est là le mérite des anciens ; nous mettons plus d’appareil à tout, et dans nos actions comme dans nos écrits. […] Quoiqu’alors la Grèce fût esclave des Romains, on se souvenait encore des sentiments que l’ancienne liberté inspirait ; et quand l’éloquence trouvait une âme noble, cette éloquence faisait revivre les idées des Miltiade et des Périclès ; c’est ainsi que dans la populace de Rome moderne, il y a eu des temps où l’on entrevoyait les descendants des Scipions.

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