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241. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

qu’il écrivit de sa déesse, et de tels signes, oui, même en face de l’énorme Homère, ont quelque chose de si surnaturel et de si nouveau dans le poète de cette mystérieuse heure d’histoire où chantait Virgile, qu’on ne l’explique pas entièrement avec de l’analyse littéraire et le trotte-menu des petites lois qui régissent ordinairement les biographies. […] … C’est qu’il n’était critique que de pure description et d’infatigable analyse niant les principes tout aussi bien en esthétique qu’en morale et en gouvernement, cet homme que des esprits qui ne connaissant pas plus Goethe que lui, appelaient hier le plus grand critique qui ait existé depuis Goethe… Sainte-Beuve a toujours repris toutes ses idées en sous-œuvre pour y ajouter ou y retrancher, tant elles lui semblaient incertaines ! […] C’était un descripteur et un analyseur et un disséqueur, à loupe, à pincettes et à scalpel, — et qui mettait au bout de sa description, de son analyse, de sa dissection, sa petite impression personnelle et la couleur de son esprit. […] Ces qualités, c’est la vivacité d’impression, l’imagination coloriante, la sensibilité nerveuse, la subtilité de l’analyse, la finesse déliée jusqu’à ce qu’elle arrive au rien, la science corrompue des décadences, que, d’ailleurs, même le critique le plus pur est obligé d’avoir dans les siècles de décadence, et enfin et surtout l’anecdote, l’amusette, la bagatelle de la porte, le cancan cher à mon joli siècle, voilà ce qui l’a fait proclamer si facilement et si universellement un grand critique par ceux qui ne se doutent pas de quelle pureté, de quelle fermeté et de quelle profondeur de marbre la notion de la critique est faite.

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