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594. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes d’Amérique » pp. 95-110

Jusqu’ici, en effet, nous n’avions pas encore rencontré, parmi ces moralistes qui ont retourné l’âme humaine comme un gant, d’homme assez bronzé par les idées fausses et l’amour dépravé des énormités pour s’agenouiller publiquement et ventre à terre devant cette affreuse bête, — qui d’ailleurs est si bête, — et qui de temps immémorial s’appelle le Veau d’Or. […] L’amour effréné de l’argent a toujours été mis au ban de tous les mépris dans l’Histoire, et même dans l’opinion des nations robustes qui savaient le mieux le gagner. Disons-le à l’honneur de tout le monde, de ce côté-ci de l’hémisphère personne, même parmi ceux que l’or qu’ils remuent dans leurs mains puissantes devrait fasciner, n’aurait voulu penser tout haut que l’amour de l’argent et sa production fussent le dernier mot de la moralité humaine, l’idéal enfin de la perfection absolue pour les individus et pour les peuples. Un poète, il est vrai, Lord Byron, mais Lord Byron malade, spleenétique, agacé, mâchant du mastic et buvant du soda-water, a fait un jour l’éloge osé et peut-être ironique de l’avarice, la passion la plus intellectuelle, disait-il ; ce qui n’est pas une recommandation bien forte pour Bellegarrigue, lequel comprend, lui, l’amour de l’or sous des formes moins concrètes et moins immobiles. […] Est-ce que, d’ailleurs, leur foi en l’argent, leur amour de l’argent, pour lequel on les exalte, n’est pas une passion de vieillard ?

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