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416. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Il faut donc être toujours aimable, et, à ce manège, la sensibilité qui se disperse en mille petits canaux ne peut plus faire un grand courant. « On avait cent amis, et sur cent amis, il y en a chaque jour deux ou trois qui ont un chagrin vif : mais on ne pouvait longtemps s’attendrir sur leur compte, car alors on eût manqué d’égards envers les quatre-vingt-dix-sept autres300 » ; on soupirait un instant avec quelques-uns des quatre-vingt-dix-sept, et puis c’était tout. Mme du Deffand, ayant perdu son plus ancien ami, le président Hénault, venait le jour même souper en grande compagnie : « Hélas ! […] On choisit pour coiffure « des poufs au sentiment », dans lesquels on place le portrait de sa fille, de sa mère, de son serin, de son chien, tout cela garni des cheveux de son père ou d’un ami de cœur ». On a des amies de cœur pour qui « on éprouve quelque chose de si vif et de si tendre que véritablement c’est de la passion », et qu’on ne peut se passer de voir trois fois par jour. « Toutes les fois que des amies se disent des choses sensibles, elles doivent subitement prendre une petite voix claire et traînante, se regarder tendrement en penchant la tête, et s’embrasser souvent », sauf à bâiller tout bas au bout d’un quart d’heure et à s’endormir de concert parce qu’elles n’ont plus rien à se dire. […] Chaque chevalier a son « frère d’armes », chaque dame a son amie, chaque membre a sa devise, et chaque devise, encadrée dans un petit tableau, va figurer dans « le Temple de l’Honneur », sorte de tente très galamment décorée et que M. de Lauzun a fait dresser au milieu d’un jardin310. — La parade sentimentale est complète, et, jusque dans cette chevalerie restaurée, on retrouve une mascarade de salon.

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