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1300. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

La Chanson de Roland d’abord, si grandiose dans sa rudesse, si héroïque de souffle, si impériale et nationale, si admirablement fraternelle dans l’union des deux amis, si sincèrement magnanime par elle-même, et à laquelle il n’a manqué qu’un digne metteur en œuvre, un meilleur Turold ; le Roman de Raoul de Cambrai, que je place à côté, non pour l’imagination, mais pour le cachet historique sévère, franchement féodal, et pour l’intérêt sérieux du sujet. […] Quel dommage, s’écrie-t-on malgré soi au milieu de son hommage sincère, que la langue ici fasse défaut (j’en demande pardon à nos amis plus enthousiastes ou mieux édifiés) ! […] Pour remettre les choses de l’esprit, dans notre idiome vulgaire, en digne et haute posture, il était besoin d’un sursaut, d’un assaut, d’un coup de main vaillant dont Marot et ses amis n’étaient pas capables, d’un coup de collier vigoureux ; car c’est ainsi que j’envisage, c’est par ces termes expressifs que j’aime à caractériser la Poétique de Du Bellay et de Ronsard, Poétique toute de circonstance, mais qui fut d’une extrême utilité. […] C’est è ce point de vue qu’il convient, pour être juste, de considérer l’œuvre de Ronsard et de ses principaux amis. […] Pellisson, qui s’était mis un jour à relire, disait qu’il ne s’en était point repenti, et « y ayant trouvé, ajoutait-il, une infinité de choses qui valent bien mieux, à mon avis, que la politesse stérile et rampante de ceux qui sont venus depuis. » Ronsard et ses amis ont droit en particulier à notre reconnaissance, à nous qui avons tenté une œuvre qui n’était pas sans quelque rapport avec la leur, et on ne dépassera pas d’un mot la stricte vérité lorsqu’on dira : « En échouant manifestement sur bien des points, ils avaient réussi sur d’autres, beaucoup plus qu’on n’a daigné s’en souvenir et le reconnaître depuis.

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