Ses deux chiens courants, au poil fauve, qui me connaissaient, venaient se coucher auprès de moi sur l’herbe chaude ; je détachais leurs colliers, pour que le tintement de leurs grelots ne m’empêchât pas d’entendre la lecture ou la conversation des trois amis. […] XIX Ces trois amis s’entendaient admirablement dans une opposition commune au gouvernement du jour ; les deux plus âgés, cependant, détestaient bien davantage la démagogie sanguinaire de 1793, à laquelle leurs têtes venaient d’échapper. […] Plus souvent c’était un petit Tacite latin, que M. de Vaudran portait habituellement dans sa veste, et qu’il lisait tantôt en français, tantôt en latin, à ses deux amis, en leur faisant remarquer avec éloquence le nerf, la justesse, la portée de l’idée jetée à travers l’histoire, pour faire de chaque événement une leçon. […] Un homme lassé des hommes, deux amies atteintes du même dégoût de l’existence que lui, un chien, une chèvre, un arbre, un livre, voilà tous les mots de l’énigme. […] venait à arrêter un moment ma plume, l’outil assidu que j’use pour eux, ces braves amis péricliteraient avec moi ; ils seraient obligés de chercher dans mes cendres leur fortune ; ils la retrouveraient tout entière, sans doute, mais ils ne la retrouveraient que sous mes démolitions.