La guerre voyage en grande dame : elle a commencé en Amérique, à présent elle est arrivée dans l’océan et dans la Manche ; elle n’a pas débarqué encore, et si elle prend terre le printemps qui vient, elle pourrait peut-être, pour plus grande commodité, cheminer en litière, de sorte qu’on la verra venir de loin ; et, après tout, on est exposé à tant de hasards dans le cours commun de la vie, que la guerre n’y ajoute qu’un petit degré de plus. […] L’adversité a cela de particulier, qu’elle donne à Frédéric le sentiment du droit, qu’il n’a pas toujours eu très présent et très vif en toutes les circonstances de sa vie : en cette crise d’alors, il se considère comme iniquement assailli et traqué, lui le champion d’une grande et juste cause, le soutien de la liberté de l’Allemagne et de l’indépendance protestante : « L’Allemagne est à présent dans une terrible crise : je suis obligé de défendre seul ses libertés, ses privilèges et sa religion ; si je succombe, pour le coup, c’en sera fait. » Il ajoute ces remarquables paroles, qui ont dans sa bouche une singulière autorité et dont il paraît s’être mal souvenu dans d’autres temps : A-t-on jamais vu que trois grands princes complotent ensemble pour en détruire un quatrième qui ne leur a rien fait ? […] Grâce à Dieu, je n’ai pas eu cent hommes de morts. » Mais il avait le droit d’ajouter : « À présent je descendrai en paix dans la tombe, depuis que la réputation et l’honneur de ma nation est sauvé.