En ces années où Bonstetten prend décidément son parti et où, faisant une bonne fois son deuil de tous les regrets, le rajeunissement pour lui commence, Genève offrait la réunion la plus complète d’esprits éclairés et distingués : Mme de Staël encore, qui allait trop tôt disparaître ; Dumont, l’interprète de Bentham, l’ancien ami de Mirabeau ; le médecin Butini ; l’illustre naturaliste de Candolle, « l’homme parfait, qui avait un aussi bon esprit pour les affaires du monde que pour les végétaux, et le cœur comme s’il n’avait que cela » ; les savants Pictet ; l’érudit Favre ; bientôt Rossi, dont l’esprit fin et l’habile carrière devaient aboutir à la grandeur ; Sismondi, droit, loyal, instruit, mais qui se trompait à coup sûr quand il croyait voir en Bonstetten « un débris de la secte de Voltaire » ; bien d’autres que j’omets, et jusqu’à cet aimable Diodati, qui m’a entretenu d’eux autrefois, et qui, le dernier de tous, vient tout récemment de mourir. […] Jamais il n’oubliait, mais il remplaçait vite, et remplaçait toujours : son affaire était de bien remplacer. […] » Mais quand il vit qu’on était sincère et fidèle, qu’il avait affaire à un de ces cœurs francs et de bon aloi, des moins médiocres à sentir l’amitié, il lui écrivait (et je donne ici de simples mots pris çà et là, quelques notes seulement pour indiquer le ton) : Je suis vivement touché de votre amitié et des bontés de madame votre mère… Vous êtes de l’or dont on fait les amis ; et voilà les cases vides de mon cœur, où logeaient Muller, Matthisson ou Mme Brun, qui sont occupées par vous.