Il me semble voir d’ici sourire quelques-uns de ceux qui m’écoutent ou qui me liront ; je les entends dire : « C’est affaire à vous de parler contre cet article ; bien vous eût pris qu’il eût déjà été en vigueur, vous en auriez profité vous-même tout le premier, dans un cas récent, pour un fait de votre vie privée qui, divulgué, exagéré, dénaturé58… » Il n’est pas besoin que j’achève. […] On se plaint souvent que la littérature actuelle ne soit pas plus forte, plus élevée, plus semblable à celle des siècles précédents, des grandes époques précédentes : je ne sais ce que ces plaintes ont de fondé ; nous sommes trop juge et partie peur avoir voix au chapitre dans la question ; mais, en admettant le fondé du reproche, comment voulez-vous que la littérature, la véritable, celle qui a son inspiration propre, celle qui n’est animée ni du désir du gain ni de l’ambition des honneurs, mais qui a sa verve naturelle, originale, son goût de fantaisie ou de vérité, et d’une vérité piquante et parfois satirique (car ce ne sont pas les sujets qui manquent), comment voulez-vous que cette littérature qui sacrifie tout à elle-même, à sa propre satisfaction, au plaisir de rendre avec art, avec relief, et le plus excellemment possible ce qu’elle pense, ce qu’elle voit et dans le jour sous lequel elle le voit, comment voulez-vous qu’elle ait toute sa vigueur, sa joie, sa fierté et son indépendance, si, à tout moment, l’écrivain qui tient la plume a à se faire cette question : « Aurai-je affaire ou non à messieurs du parquet, à messieurs de la police correctionnelle ? […] J’ai eu affaire dans ma vie à bien des familles pour des notices biographiques. […] Au lieu de cela, la nouvelle loi, en commençant par accorder beaucoup, par reconnaître à chaque citoyen un droit, a aussitôt agi cependant, par une sorte de contradiction subite, comme si elle avait affaire à des ennemis, comme s’il y avait à se défier de tout ce qui lient une plume.