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363. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

La foi servant à la politique, les actes égoïstes sortant d’une volonté de sacrifice, la cruauté et l’intérêt se faisant ministres de la justice et vengeurs du crime, on voit apparaître ici, quand on lit bien, quelques-uns des éternels sophismes, des incessantes contradictions de la faible humanité qui ne peut renoncer ni à rêver le bien ni à suivre son bien. […] Mais il dit aussi certains petits effets de grandes vertus, des excès et des défauts, marques d’humanité, qui rapprochent de nous le saint, et l’animent sans l’amoindrir : nous voyons le roi, vêtu de grossier camelin, « tremper son vin avec mesure », et manger ce que son cuisinier lui prépare, sans condescendre jamais à commander le menu de son repas ; nous le voyons, modeste en sa parole comme pur en ses actes, n’ayant onques nommé le diable en ses propos, toujours timide et petit enfant devant sa mère, froid à l’excès et comme indifférent à l’égard de sa femme et de ses enfants, l’humeur vive avec son angélique bonté, assez jaloux de son autorité, rabrouant prélats ou Templiers, quand ils semblent entreprendre dessus, et, pour tout dire, un peu colère : Joinville ne fait-il pas un pacte avec lui, pour que ni l’un ni l’autre à l’avenir ne se fâchent, le roi de ses demandes, et lui des refus du roi ? […] Voilà une foi intacte, pure, naïve, et, qui plus est, une foi qui règle les actes. […] Avec plus de singulière perfection, en saint Louis, avec plus de commune humanité, chez Joinville, voilà l’esprit qui a créé le monde mystique du Graal, voilà, réalisée en des actes vraisemblables, accessibles, en pleine réalité historique et vivante, la chevalerie du Christ. […] Joinville est une riche nature, dont les actes et relations de la vie chrétienne et féodale n’épuisent point l’abondance.

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