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544. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

III, § 12], le phénomène extérieur, purement tactile, est complété par l’image du son que nos oreilles n’entendent pas138 ; mais si tout phénomène extérieur, tout état fort, a disparu, si nous nous bornons à imaginer notre parole, l’image sonore apparaît seule, l’image tactile est réduite à une ombre insaisissable à l’observation, sinon même à un néant absolu. […] La chose me paraît probable, non que je considère l’humanité comme un seul être, auquel l’hérédité ferait une sorte d’individualité relative en jouant dans l’espèce entière le rôle qui appartient chez les individus à l’habitude ; mais les premières générations humaines qui parlèrent durent parler très peu, et l’habitude, pour avoir les effets que nous avons décrits, suppose un exercice régulier et fréquent de la parole ; la purification de la parole intérieure implique sa fréquence, sinon sa continuité absolue, c’est-à-dire une période du langage qui n’est pas la période tout à fait primitive. […] 15 Que la conscience enveloppe tout ce que nous connaissons, que, par suite, il n’y ait rien qui ne soit un état du moi, que le monde extérieur, en particulier, soit un état ou un groupe d’états de conscience, ce sont là des vérités que la réflexion philosophique seule nous révèle ; elle ramène à l’unité ce que le sens commun partageait en deux groupes opposés ; le sens commun ignore qu’il n’y a pas de non-moi absolu, que tout non-moi est mien ; il est dualiste, absolument et sans réserve. […] La force de l’état et de ses concomitants ne suffirait pas à motiver la perception externe ; la raison première de l’idée d’extériorité, c’est le caractère imprévu et isolé de certains états : voilà des états qui entrent dans une série et qui en rompent l’unité ; ils n’en faisaient donc pas partie ; ils ne dérivaient pas de leurs antécédents dans la série ; ils sont jusqu’à un certain point étrangers à cette série, dont ils sont venus déranger l’allure, et si on leur suppose, comme aux autres faits, des antécédents, c’est hors de la série, dans l’inconnu, dans l’extérieur absolu, qu’il faut les imaginer. […] Faute de reconnaissance, c’est-à-dire d’affirmation explicite du moi, le caractère mien des états étendus présents reste dans l’ombre, et voilà pourquoi mes sensations me paraissent être un monde extérieur à l’existence duquel je ne prends aucune part, un non-moi pur et simple et absolu.

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