Il y a longtemps que je la connais, et dans sa formule la plus absolue. […] Laboulaye aurait pu faire quelque chose de plus utile encore que ce qu’il a fait, c’eût été de montrer l’homme complet en Benjamin Constant, de nous expliquer en quoi il avait de belles lumières et de grandes faiblesses ; en quoi il faillit ou varia même dans la défense des idées justes ; comment il manqua toujours d’autorité et d’une certaine considération qui ne suit pas toujours la popularité ; quelles circonstances indépendantes de sa volonté, et quels incidents (il y a toujours des incidents) reculèrent l’application de ses théories générales et absolues. […] Benjamin Constant, quoi qu’il en dît, savait très bien où placer cet enthousiasme que, d’ailleurs, dès ce temps-là, il n’avait plus du tout et qu’il n’avait même jamais eu ; mais il possédait des lumières, de l’activité, des talents à produire, il avait des préférences libérales (je ne le conteste pas) ; il jugea que ce gouvernement du Directoire était bon à appuyer ; il s’y rallia publiquement ; il le défendit par des brochures, par des discours dans des cercles politiques, avant et après le 18 fructidor : preuve que Benjamin Constant, n’en déplaise à son commentateur, admettait très bien qu’il y a des moments et des cas où, à la rigueur, les principes absolus doivent fléchir devant la nécessité et le salut de l’État.