Et Wagner, sitôt cette question soulevée, y répond avec une certitude absolue : « Au contraire, la mélodie et sa forme comportent, grâce à ce procédé, une richesse de développement inépuisable et dont on ne pouvait, avant d’y avoir recours, se faire une idée. » Il l’affirmait, et l’on pouvait déjà s’en fier à lui ; mais l’audition de son œuvre apporte une telle preuve à l’appui de son affirmation qu’on reste confondu, non seulement du génie du compositeur, mais de la puissance et de la lucidité d’esprit de l’homme qui a conçu cette nouvelle « œuvre d’art », ainsi qu’il l’appelle. […] L’héroïque loyauté de Tristan, chargé d’amener la princesse Iseult au vieux roi Marke, et qui, sentant gronder en son cœur une ardente passion, se tient loin d’elle, à l’arrière du navire, et se refuse à l’aborder quand elle l’envoie quérir ; — la colère et le dépit d’Iseult, confuse de l’invincible amour qui la pousse vers le chevalier qui a tué son premier fiancé, Morold ; irritée de ne rencontrer que muette indifférence en cet orgueilleux vainqueur et résolue à l’empoisonner pour venger Morold ; — à côté d’eux, le dévouement complet, absolu, représenté par l’écuyer Kurwenal et l’aimable Brangœne ; — les sages conseils de ceux-ci, tantôt ironiques, tantôt affectueux ; la réserve obstinée de Tristan, la passion croissante d’Iseult et sa soif de vengeance ; l’irrésistible élan qui les jette dans les bras l’un de l’autre après qu’ils ont bu le philtre amoureux, servi par Brangœne, au lieu du breuvage de mort qu’Iseult croyait verser à Tristan ; — leur enivrante extase et leur douloureux réveil lorsque le navire aborde et que les cris des matelots saluent le roi Marke attendant sa fiancée au rivage : — voilà pour les épisodes du premier acte, que l’auteur a traduits avec une vérité et une variété dont on ne peut avoir aucune idée, à moins de l’entendre.