En dédiant les vers latins de La Boétie au chancelier de L’Hôpital, Montaigne développe cette même idée : il se console, dit-il, de voir tant de hasard présider au choix des hommes qui gouvernent les autres, et, là même où la chose publique est le mieux réglée, le discernement faire faute trop souvent sur ce point, en considérant qu’Étienne de La Boétie, « l’un des plus propres et nécessaires hommes aux premières charges de France, avait tout du long de sa vie croupi méprisé ès cendres de son foyer domestique ». […] Elle fut sans doute écrite à l’occasion des premiers troubles civils et religieux qui déchirèrent la France (1560) ; elle ne s’adresse pas à Montaigne seul, mais aussi à un autre ami, M. de Bellot : Montaigne, toi le juge le plus équitable de mon esprit, et toi, Bellot, que la bonne foi et la candeur antique recommandent, ô mes amis, ô mes chers compagnons, s’écrie le poète (je traduis en resserrant un peu sa pensée), quels sont vos desseins, vos projets, vous que la colère des dieux et que le destin cruel a réservés pour ces temps de misères ? […] C’est là qu’il faut aller, qu’il faut tendre à force de rames et à voiles déployées ; là où du moins je ne verrai point, ô France ! […] Mais je ne sais personne qui en ait mieux parlé dans la pure nuance et la juste mesure qu’un auteur du commencement de ce siècle, que je cite quelquefois, et à qui la France doit un souvenir, puisqu’il est du petit nombre des étrangers aimables qui ont le mieux écrit en Français : Malgré les treize lustres qui pèsent sur ma tête, écrivait M. […] Depuis que la France a eu un Fénelon et que le trône est occupé par un descendant du duc de Bourgogne, son élève, il n’est point à craindre qu’on oublie Télémaque.