Un jour qu’on demandait en présence de Wordsworth s’il en était nécessairement ainsi, le grave poète des lacs répondit : « Ce n’est point parce qu’ils ont du génie qu’ils font leur intérieur malheureux, mais parce qu’ils ne possèdent point assez de génie : un ordre plus élevé d’esprit et de sentiments les rendrait capables de voir et de sentir toute la beauté des liens domestiques23. » J’ai le regret de rappeler que Montaigne n’était pas de cet avis et qu’il penchait du côté du déréglement : citant les sonnets de son ami Étienne de La Boétie, il estime que ceux qui ont été faits pour la maîtresse valent mieux que ceux qui furent faits pour la femme légitime, et qui sentent déjà je ne sais quelle froideur maritale : « Et moi, je suis de ceux, dit-il, qui tiennent que la poésie ne rit point ailleurs comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé. » Nous nous sommes trop souvenus en France de cette parole de Montaigne, et nous nous sommes laissés aller à cette idée de folâtrerie. […] Rousseau est certainement l’écrivain qui, en France, au xviiie siècle, a le premier senti et propagé avec passion cet amour de la campagne et de la nature que Cowper, de son côté, a si tendrement partagé : à cet égard, nous aurions peu à envier à nos voisins. Aussi, lorsque j’ai exprimé le regret que la France n’eût point, dès ce temps-là, une poésie pareille et comparable à celle des Anglais, je pensais moins encore à la peinture directe de la nature considérée en elle-même, peinture dont notre prose élevée présente de si belles et si magnifiques images, qu’à l’union de la poésie de la famille et du foyer avec celle de la nature.