Mme du Châtelet échappait du moins à ces misères du dehors, et ses nobles études, ses hautes distractions mêmes, la mettaient à l’abri des petites vues où se consumaient autour d’elle des esprits si distingués. […] Simonide le disait mieux dans des vers dont voici le sens : « La santé est le premier des biens pour l’homme mortel ; le second, c’est d’être beau de nature ; le troisième, c’est d’être riche sans fraude ; et le quatrième, c’est d’être dans la fleur de jeunesse entre amis. » Ces traités où la théorie s’évertue à démontrer les machines et les industries de détail du bonheur, et à inventer à grande peine ce qui naît de soi-même dans la saison, me rappellent encore un joli mot de d’Alembert, et qui ne sent pas trop le géomètre : « La philosophie s’est donné bien de la peine, dit-il, pour faire des traités de la vieillesse et de l’amitié, parce que la nature fait toute seule les traités de la jeunesse et de l’amour. » Il est pourtant des endroits bien sentis dans le traité de Mme du Châtelet : elle y parle dignement de l’étude, qui, « de toutes les passions, est celle qui contribue le plus à notre bonheur ; car c’est celle de toutes qui le fait le moins dépendre des autres ». […] Elle y parle très bien aussi, nudité à part, et d’une manière vive et sentie, de l’amour ; elle le proclame le premier des biens s’il est donné de l’atteindre, le seul qui mérite qu’on lui sacrifie l’étude elle-même. […] En écrivant ces pages, elle se flattait encore qu’elle tiendrait bon dans ce qu’elle appelait l’immutabilité de son cœur, et que le sentiment paisible de l’amitié, joint à la passion de l’étude, suffirait à la rendre heureuse. […] Sa première idée était de se retirer à l’abbaye de Senones, auprès de dom Calmet, pour s’enfoncer dans l’étude ; sa seconde idée fut d’aller en Angleterre auprès de lord Bolingbroke, pour se livrer à la philosophie.