Sans exclure entièrement de l’émotion esthétique l’activité et même la finalité, nous avons cependant reconnu que cette émotion est le sentiment d’une solidarité déjà existante, soit commencée, soit achevée, et non d’une solidarité à établir ; elle est l’harmonie sentie et non l’harmonie voulue, cherchée avec effort ; elle est la sympathie sociale déjà maîtresse de notre cœur, le retentissement en nous de la vie collective, universelle. […] Si je suis ému par la vue d’une douleur représentée, comme dans le tableau de la Veuve du soldat, c’est que cette parfaite représentation me montre qu’une âme a été comprise et pénétrée par une autre âme, qu’un lien de société morale s’est établi, malgré les barrières physiques, entre le génie et la douleur avec laquelle il sympathise : il y a donc là une union, une société d’âmes réalisée et vivante sous mes yeux, qui m’appelle moi-même à en faire partie, et où j’entre en effet de toutes les forces de ma pensée et de mon cœur. L’intérêt que nous prenons à une œuvre d’art est la conséquence d’une association qui s’établit entre nous, l’artiste et les personnages de l’œuvre ; c’est une société nouvelle dont on épouse les affections, les plaisirs et les peines, le sort tout entier.