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912. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Pour l’Espagnol, au contraire, la religion est une émotion de la chair et du sang, une hallucination du cerveau, une explosion de la férocité native. […] Il sait les deux langues comme pas un ; il a vécu ou voyagé dans les deux pays ; il n’est pas de document historique ou littéraire, d’œuvre plastique ou poétique qu’il ne connaisse et ne juge avec la compétence exercée d’un critique et l’émotion primesautière d’un artiste. […] Ces émotions ont été en moi fort précoces et fort vives, parce que j’habitais sur la frontière de deux pays, l’un vert et beau, l’autre terne et laid, à Vouziers, limite de la terre blanche et de la terre brune. […] Aucun dogme, aucun raisonnement ne les enferme dans un être limité ; pour constituer leur idée, Cent émotions vagues et profondes s’assemblent, la joie des yeux qui considèrent leur glorieux épanchement, l’anxiété de l’esprit qui sent la terre soumise à leur empire, le sourd besoin de la pleine vérité dont leur clarté est l’image. […] Il a une qualité rare chez les écrivains et les artistes, la conscience ; même cette conscience est chez lui scrupuleuse et méticuleuse : il ne s’abandonne pas, il ne croit jamais avoir assez étudié et réfléchi, il ne suit pas le premier jet vif et spontané de son impression et de son émotion.

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