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29. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — II »

Le moi n’entre en rapport avec eux et ne réussit à les distinguer que dans l’émotion qu’il ressent à leur occasion ; c’est de l’unique substance de cette émotion qu’il tire la représentation qu’il s’en forme ; c’est cette émotion même dont une part plus ou moins grande se transforme en connaissance. […] C’est ainsi que la force d’analyse que nous usons à prendre conscience de nos émotions est soustraite à la force au moyen de laquelle nous les éprouvons : notre colère tombe sitôt que nous nous absorbons tout entiers à la considérer. […] Chez les poètes, chez les artistes de tous ordres, que possède à quelque degré le Génie de la Connaissance, il existe une tendance à faire de leurs émotions des spectacles, et, cette transformation de leur activité les dispense parfois de la satisfaire, d’une façon durable, sous sa première incarnation. […] Ils n’entrent en effet en relation avec tous ces objets du monde extérieur, ainsi qu’on vient d’en faire la remarque, qu’autant que leur sensibilité est encore affectée par eux : quelque joie à considérer les formes et les couleurs leur rend seule perceptibles les formes et les couleurs, quelque émotion, au contact des passions humaines leur permet seule de connaître les passions humaines.

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