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602. (1753) Essai sur la société des gens de lettres et des grands

Pour répond re à cette objection, je remarque que parmi les gens de lettres qui courent une même carrière, comme il est différents degrés de talents, il est aussi différentes classes ; ces classes sont d’elles-mêmes assez marquées, et les gens de lettres par une espèce de convention tacite les forment presque sans le vouloir : chacun, je l’avoue, cherche à se mettre dans la classe la plus élevée qu’il lui est possible ; mais il n’est pas à craindre que les rangs soient trop bouleversés par cette prétention ; car la vanité n’est aveugle que jusqu’à un certain degré ; il arrivera seulement de là qu’il y aura moins de classes, jamais qu’elles se confondent en une seule : celui surtout qui aspirerait à la monarchie universelle et perpétuelle, quand même il en serait digne, courrait risque de trouver bien des rebelles ; l’anarchie qui détruit les États politiques, soutient au contraire et fait subsister la république des lettres ; à la rigueur on y souffre quelques magistrats, mais on ne veut point de rois. […] Le seul motif qui puisse autoriser un homme de lettres à renoncer à son pays, ce sont les cris de la superstition élevés contre ses ouvrages, et les persécutions, tantôt sourdes, tantôt ouvertes, qu’elle lui suscite. […] « Figurez-vous, dit-il, la fortune sur un trône élevé, environné de précipices, et autour d’elle une infinité de gens qui s’empressent d’y monter, tant ils sont éblouis de son éclat. […] Faut-il s’étonner après cela que tant de talents médiocres, mais humbles, soient élevés aux dépens du génie ? […] Élevés par la faveur, ces hommes médiocres sentent que les bons juges les voient toujours à leur véritable place : et ils ne peuvent le leur pardonner.

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