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23. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

Il n’y avait là, si on veut, qu’une poignée de jeunes filles, pauvres et nobles, à qui le roi payait le sang des pères morts pour lui, mais ces jeunes filles élevées par le roi, dirigées par madame de Maintenon, surveillées par Bossuet et par Fénelon, ces jeunes filles qui, dans leurs divertissements littéraires, avaient Racine pour répétiteur, devenaient un jour des mères par la chair ou l’esprit, — car celles qui ne se mariaient pas étaient dames de Saint-Cyr à leur tour : des mères spirituelles, — et, toutes, elles faisaient descendre dans la société, dans le sang social, par leurs enfants ou par leurs élèves, ce qu’elles avaient puisé au sein d’une éducation sensée et religieuse, où le grandiose touchait à la simplicité. […] Assurément, aux yeux de qui sait discerner et sait conclure, l’histoire de la maison de Saint-Cyr, du temps de Louis XIV et de madame de Maintenon, telle que Lavallée nous la raconte, est une vue, prise par un côté nouveau, sur l’esprit et les mœurs du grand siècle, saisis, comme au plus frais et au plus pur de leur source, dans l’âme des jeunes filles qui y étaient élevées et dans l’éducation qu’on leur donnait. […] Si admirablement élevés qu’aient été nos officiers sortis de Saint-Cyr depuis 1805, — et même en raison de cette éducation militaire qui passe l’uniforme à l’esprit, — ils ne représentent pas la société de leur temps dans toutes ses nuances, comme ces belles jeunes filles, qui touchaient, elles, par tous les points de leur éducation et de leur vie, à toutes les idées et à tous les sentiments du xviie  siècle, représentent celle du leur et la traduisent à l’imagination charmée. […] C’est par ce génie, qu’aucune femme n’eut à un degré plus élevé, qu’elle rendit Louis XIV confiant et fidèle jusqu’à sa dernière heure, lui qui pouvait tout et qui l’avait associée à sa vie de roi !

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