Le Génie n’a jamais été & ne peut être le partage d’un esclave ; ces coups de pinceau majestueux, ces nuances de grandeur & de justice qui doivent animer les tableaux de l’Ecrivain philosophique, où les puiseroit-il ? […] Les plaisirs vous invitent, la volupté devient plus séduisante lorsque vous vous refusez à ses attraits, il faut, nouveaux Ulisses fermer l’oreille au chant des trompeuses Sirennes, vous couvrir de votre solitude comme d’un Egide impénétrable, fuir le monde pour lui devenir utile, embrasser la retraite autant par goût que par raison ; c’est là que votre ame ne se renferme pas dans le cercle étroit du présent qui s’échappe, mais s’élance dans ces espaces immenses qui la rapprochent des Ecrivains de tous les tems. […] Mais au sein de la retraite, on l’appelle dans le tourbillon du monde ; ceux qui se livrent aux plaisirs tumultueux veulent avoir le suffrage de la présence ; jettez-vous dans le tourbillon, frivoles Ecrivains, qui pour écrire n’avez pas besoin de penser, vous y perfectionnerez cet esprit léger tout fier d’idées sémillantes, il vous faut des éclairs, il vous faut un langage brillant qui puisse servir de voile à vos connoissances superficielles ; promenez-vous avec la folie, vous n’avez rien à gâter ; mais toi homme de génie qui as sçu méditer, poser des principes, affermir ta marche, & comme d’un tronc fertile, en suivre toutes les conséquences, toi qui vois en grand, garde-toi d’asservir tes mâles talens au goût des Sociétés ; elles corromproient ton éloquence, tes vues hardies & sublimes, ton héroïsme vertueux. […] Ainsi parmi nous Condé honoroit Corneille ; c’étoit la gloire qui faisoit sa cour au génie : Ainsi dans tous les tems les grands dignes de ce nom ont fait les premiers pas vers les Ecrivains qui arrêtoient les regards de leur siécle. […] Quelle foule d’Ecrivains sublimes & pauvres depuis Socrate jusqu’à Descartes, & depuis Homére jusqu’à Milton !