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434. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

Dites que notre littérature s’est gâté le style, qu’elle s’est chargée d’abstractions genevoises et doctrinaires, de métaphores allemandes, de phraséologie drôlatique ou à la Ronsard ; et quatre ou cinq noms qu’à l’instant tout le monde trouvera, vous rappelleront les écrivains les plus vifs, les plus sveltes et dégagés, qui aient jamais dévidé une phrase française. […] Je crois pouvoir affirmer que tout écrivain qui a ce qu’on appelle du succès, c’est-à-dire, qui réunit des lecteurs autour de son œuvre ; que tout homme qui est assez heureux, assez malheureux veux-je dire, pour être en butte à l’admiration, aux éloges, à la haine et aux critiques, n’a pas un moment laissé reposer sa plume sur ses compositions… Dans mon enfance on m’a montré, comme un glorieux témoignage du génie de Bernardin de Saint-Pierre, la première page de Paul et Virginie, écrite quatorze fois de sa main. […] dites que c’est là le trait distinctif de la littérature de ce temps, et plus d’un écrivain qu’on lit non sans plaisir et qui vous paraît facile, vous avouera, s’il l’ose, qu’il corrige, qu’il rature et qu’il recopie beaucoup. […] Loève-Veimars va donc, leste, aisé, sans être jamais piqué de cette tarentule ; l’écrivain atteint où il veut, s’arrête court ou tourne à propos.

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