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752. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Banville. Les Odes funambulesques. »

Sincère ou de parti pris, volontaire ou inspirée, la poésie des Odes funambulesques arrive-t-elle, n’importe à quel prix, à l’émotion et à l’illusion que toute poésie doit créer dans nos âmes ? […] Il y est à deux mains, à deux pieds, de tout son corps, qui est toute son âme ! […] Lui dont la plume ressemblait à l’archet de Paganini, mais, il est vrai, sans l’âme du violon céleste ; lui le linguiste, le rythmique, le métrique, — c’étaient ses qualités, et nous ne voulons pas les amoindrir, — il n’est plus, dans ces chansons dernières, qu’une espèce de jongleur, ivre de mots comme on l’est d’opium, et qui les triture et les hache dans sa furieuse folie de césures, de rimes, d’assonnances, d’enjambements. […] Quand l’Inspiration, dont le caractère semble être d’agrandir notre âme aux dépens de notre corps, ne nous a pas, comme dans le livre dont il s’agit ici, allégé le poids de nos organes, et qu’on a été soumis au martelage tellement appuyé de ce double coup, la sensibilité en est comme stupéfiée, on est accablé de cette matérielle perfection, et on éprouve le désir de retourner à quelque négligé divin, à quelque mal rimé, puissant ou exquis, comme Alfred de Musset ou Maurice de Guérin, par exemple. […] On se dit bien que l’instrument a un défaut, qu’il est imparfait, près de se casser, près de se rompre, mais l’haleine pure qui passe dans les trous du misérable roseau semble mieux porter & l’âme le son de la poitrine inspirée…, et les plastiques, les acrobates et les funambules sont oubliés !

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