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750. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Le naïf, seul, n’aurait pas suffi… Rollin, qu’on appelle aussi le bon Rollin, et qui, dans son Histoire ancienne, a traduit bien des morceaux d’Hérodote, Rollin, l’âme simple, droite, ingénue, qui était un naïf par l’esprit, mais qui parlait la langue ordonnée et anti-naïve du dix-septième siècle, n’a jamais traduit que le sens général ou littéral d’Hérodote. […] Sans l’âme de Joinville, qui s’y montre tout à la fois charmante et sublime, il n’y aurait là qu’un bégaiement. […] Laissons-lui dire qu’avant Descartes et Pascal la langue française n’était pas fixée, comme si la langue fluviale de Rabelais ne valait pas le petit bassin d’eau filtrée sur lequel Racine mettait à îlot et faisait manœuvrer les petites galères d’ivoire de ses tragédies… Pascal, qui est un des fïxeurs de la langue française, pour parler l’incroyable jargon des pédants traditionnels et officiels, Pascal lui-même imite Montaigne, et c’est en réunissant la langue de Montaigne à son âme à lui, à cette âme si épouvantablement passionnée, qu’il fut ce miracle… ou ce monstre, qu’on appelle Pascal ! […] Seulement, au lieu de trouver, sous ce style et cette langue, l’âme épicurienne, indolente et bavarde de Montaigne, nous y trouvons le génie religieux et candide, la bonhomie grandiose d’Hérodote, de ce gentilhomme grec, — comme dit Pierre Saliat dans sa dédicace au roi Henri II, — que je préfère, pour ma part, au gentilhomme périgourdin.

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