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1329. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Enfant du XVIIIe siècle et païen à sa manière, — païen vertueux et innocent, — les scrupules néo-chrétiens, qui de notre temps ont prise sur tant d’âmes jeunes ou vieilles, lui sont restés inconnus et étrangers. […] Il ne manquerait cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire et être tranquille, s’appelât travailler. » Il se flatte aujourd’hui d’avoir à peu près réalisé ce plan qu’il s’était proposé, d’avoir vécu en sage et en philosophe, étranger à ce qu’on appelle succès, indifférent à ce qu’on appelle gloire, et de s’être uniquement « attaché, en cultivant les lettres, à mettre en jeu les ressources de son intelligence, dans l’espoir de prendre une idée de l’ensemble des choses de ce monde où il ne fera que passer, et de purifier, autant qu’il est possible, son esprit et son âme par la méditation et l’étude. » Ce sont ses propres termes, et je n’ai pas voulu affaiblir l’expression de cette satisfaction élevée ; mais il est résulté de cette conscience habituelle de sa propre sagesse et de cette confiance tranquille en soi, qu’il a été enclin à voir les autres plus fous ou plus sots qu’ils n’étaient peut-être ; il se disait, en les écoutant, en les voyant animés de passions diverses : « Est-il possible que tous ces gens-là ne soient point raisonnables et sages comme moi-même ?  […] Quel qu’ait été et que soit mon goût pour Beyle, je ne puis en mon âme et conscience consentir à un tel jugement, et je ne pense pas qu’aucun de ceux qui ont connu le personnage y souscrive. […] Que je sais de lui des traits délicats et d’une âme toute libérale ! […] Mais Ballanche, levant la tête et prenant un ton d’autorité : commença une diatribe fulminante en motivant, comme il l’entendait, les reproches qu’il faisait à Bossuet, et s’échauffant toujours davantage, il arriva enfin à sa péroraison en disant, comme s’il avait été hors de lui : « Qu’on ne me parle plus des vertus et des talents de Bossuet ; d’un homme qui a osé dire que Dieu n’a pas révélé le dogme de l’immortalité de l’âme aux Juifs, parce qu’ils n’étaient pas dignes de recevoir cette vérité !

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