Avec un scrupule admirable et une délicatesse de tact infinie, écrivains et gens du monde s’appliquent à peser chaque mot et chaque locution, pour en fixer le sens, pour en mesurer la force et la portée, pour en déterminer les affinités, l’usage et les alliances, et ce travail de précision se poursuit depuis les premiers académiciens, Vaugelas, Chapelain et Conrart, jusqu’à la fin de l’âge classique, par les Synonymes de Beauzée et de Girard, par les Remarques de Duclos, par le Commentaire de Voltaire sur Corneille, par le Lycée de Laharpe361, par l’effort, l’exemple, la pratique et l’autorité des grands et petits écrivains qui sont tous corrects. […] Au dix-huitième siècle, des romanciers contemporains, et qui sont eux-mêmes de l’âge classique, Fielding, Swift, Defoe, Sterne, Richardson, ne sont reçus en France qu’avec des atténuations et après des coupures ; ils ont des mots trop francs, des scènes trop fortes ; leurs familiarités, leurs crudités, leurs bizarreries feraient tache ; le traducteur écourte, adoucit, et parfois, dans sa préface, s’excuse de ce qu’il a laissé. […] Il y a donc un défaut originel dans l’esprit classique, défaut qui tient à ses qualités et qui, maintenu d’abord dans une juste mesure, contribue à lui faire produire ses plus purs chefs-d’œuvre, mais qui, selon une règle universelle, va s’aggraver et se tourner en vice par l’effet naturel de l’âge, de l’exercice et du succès.