je le sais bien, moi, dit Thérésina : nous en étions à ce chant, si malheureusement interrompu par notre voyage, où le beau Médor, ce jeune Sarrasin, si tendre et si courageux de cœur pour sauver le corps de son maître mort, est blessé par les féroces Écossais de Zerbin, et où la belle Angélique, touchée de sa jeunesse et de sa beauté, va cueillir des simples dans les prés pour guérir ce charmant païen. » Léna sourit légèrement en admirant la mémoire heureuse de la jeune fille : « Qu’aurait-elle pu retenir de plus analogue à son âge et à son imagination d’enfant ? […] La Fontaine, au reste, a la main bien moins légère et bien moins délicate dans Joconde que l’Arioste ; l’un est badin, l’autre est lubrique : c’est qu’Arioste écrivait pour un âge d’innocence, et la Fontaine pour un âge de corruption. […] Quand on est à votre âge, on ne se moque ni de ses passions ni de son imagination : on en est le jouet ou la victime. Mais quand il n’y a plus, comme à notre âge, ni volcan dans le cœur, ni larmes dans les yeux, pour avoir trop brûlé et trop pleuré peut-être, oh ! […] Nous avons joui ; attendons pour juger que nous ayons l’âge où l’on dit que l’amour et l’enthousiasme, ces deux huiles parfumées de la lampe de la vie, soient taris ou évaporés dans nos âmes.