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544. (1896) Le livre des masques

Le privilège de l’âme élevée au mysticisme est la liberté ; son corps même n’est pour elle qu’un voisin auquel elle donne à peine le conseil amical du silence, mais s’il parle elle ne l’entend qu’à travers un mur, et s’il agit elle ne le voit agir qu’à travers un voile. […] Jadis — c’était la vie ardente, évocatoire ; La Croix blanche de ciel, la Croix rouge d’enfer Marchaient, à la clarté des armures de fer Chacune à travers sang, vers son ciel de victoire. […] Toute la littérature actuelle et surtout celle que l’on appelle symboliste, est baudelairienne, non sans doute par la technique extérieure, mais par la technique interne et spirituelle, par le sens du mystère, par le souci d’écouter ce que disent les choses, par le désir de correspondre, d’âme à âme, avec l’obscure pensée répandue dans la nuit du monde, selon ces vers si souvent dits et redits : La nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de confuses paroles ; L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. […] Par l’observation : son regard aigu pénètre comme un dard de guêpe dans les choses et dans les âmes ; il lit, comme la photographie nouvelle, à travers les chairs et à travers les coffrets. […] Ces vers sont romans, c’est-à-dire d’un poète pour qui toute la période romantique n’est qu’une nuit de sabbat où s’agitent de sonores et vains gnomes, d’un poète (celui-ci a du talent) qui concentre tout son effort à imiter les Grecs d’anthologie à travers Ronsard et à dérober à Ronsard le secret de sa phrase laborieuse, de ses épithètes botaniques et de son rythme malingre.

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