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1882. (1890) Nouvelles questions de critique

Si ce n’est pas assez de lire, d’approfondir les œuvres, d’en recevoir l’impression directe, et de n’en rien dire que l’on n’en ait pensé par soi-même, il y a un autre moyen de renouveler les sujets, qui est de les étudier dans l’histoire autant qu’en eux-mêmes, de les suivre à travers les révolutions du goût, d’en épuiser enfin la diversité d’aspects, et, par le souci du détail caractéristique, d’y introduire en quelque sorte l’animation de la vie. […] On n’est pas assuré du vrai texte d’un écrivain, est on ne l’a pas vu, si je puis dire, face à face, tant qu’à travers ses éditeurs on n’est pas remonté jusqu’à lui, c’est-à-dire jusqu’aux éditions originales. […] Paul Lenoir a rencontré lui-même de plus naturaliste au cours de ses lectures ou de ses promenades à travers les musées, il en a fait un énorme dossier, que l’on ne soupèse qu’avec terreur, que l’on n’ouvre qu’avec défiance, et que l’on ne compulse qu’avec ennui, d’une main distraite et promptement lassée. […] Cela s’est vu dans l’histoire de la peinture religieuse, où, de nos jours mêmes, à travers six ou sept générations de peintres, c’est de Raphaël que s’inspirent la plupart de ceux qui peignent encore des saintes familles. […] De même donc qu’à travers le temps on voit, dans la nature, les variétés d’une même espèce faire en quelque façon des échanges de caractères entre elles, et tour à tour, sans presque aucune régularité, revenir au type de l’ancêtre commun, ou au contraire, et souvent sans cause apparente, s’en écarter brusquement, de même, dans l’histoire, les hommes ne sont pas tellement étrangers les uns aux autres, ni surtout les esprits si rigoureusement définis ou limités par leurs aptitudes, que dans un idéaliste il ne se puisse rencontrer quelques traits d’un naturaliste et, réciproquement, qu’au don de voir et de rendre la nature comme elle est, celui de l’idéaliser ne se joigne.

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